AVANT JÉSUS 

Le tatouage est aujourd’hui démocratisé et fait partie de la culture populaire. L’origine du mot « tatau » vient de Polynésie où il y a environ 13 siècles avant JC, lors de rites initiatiques, les classes supérieures de la société se faisaient colorier la peau à l’aide de dents de requins et d’os taillés, pour marquer des étapes importantes de la vie. 

1300 ans plus tard, force est de constater que le tatouage n’est désormais plus, on pourrait le penser, qu’une simple et banale opération consistant à se faire poser un motif sur la peau. Mais se faire tatouer, ou se faire inscrire quoique se soit de permanent sur la peau peut-il vraiment jamais être banal ? 

Si le type et la couleur des vêtements et accessoires que nous portons momentanément peuvent modifier notre état d’esprit, quel impact peut avoir un tatouage indélébile sur celui qui le porte ?

TECHNIQUES ET ÉPOQUES

S’il est vrai que nous vivons et pratiquons le tatouage à une époque très différente de celle des précurseurs polynésiens, il est tout aussi vrai que l’essentiel de la technique qui permet de tatouer la peau est fondamentalement le même.

RAPPEL

L’action de tatouer consiste à faire parcourir une ou plusieurs aiguilles le long d’un tracé – imaginaire ou physique – sur la peau, en dessous de laquelle le dispositif qui porte l’aiguille (ou les aiguilles), injecte de l’encre. La peau saigne, et par la suite cicatrise. Et si les étapes de cicatrisation sont respectées, le tatoué peut se réjouir de porter le motif qu’il a choisi. On pourrait donc résumer en disant que c’est essentiellement le mélange du sang et de l’encre (et bien évidemment le travail du tatoueur) qui donnent vie au tatouage.

LE SANG FORCE VITALE ET ÉSOTÉRISME

En ésotérisme, le sang est connu et est utilisé pour ce qui est décrit par les mystiques comme étant « la source vitale »; qu’il libère lorsqu’on le fait couler.

C’est particulièrement pour cette caractéristique que ceux qui s’en servent ou le font couler, y ont recours. On retrouve dans plusieurs textes monothéistes et dans d’innombrables traités ésotériques anciens et récents; d’Occident, d’Orient, du Moyen-Orient et d’Afrique, la mention de l’usage du sang pour ses attributs métaphysiques.

QUELQUES EXEMPLES 

1- « Moïse pratiqua de la sorte pour consacrer Aaron comme grand prêtre.

Lorsque EZÉCHIEL lors d’une vision voit la gloire de YHVH pénétrer le TEMPLE, le prophète reçu des instructions précises pour la consécration du sanctuaire par l’aspersion du sang ». 

– Source: L’ÉDIFICE

2- « Le sorcier, le guérisseur, le charlatan béninois quelque soit son niveau de connaissance occulte réelle, lorsque vous le consultez vous demandera une kyrielle de fournitures. Immanquablement sur la liste figurera un animal vivant dont le sang sera répandu en offrande aux différentes divinités concernées par votre problème.

Selon les sacrificateurs vaudou, le sang contiendrait un mystérieux élément liant le visible à l’invisible et de ce fait, est capable d’obliger ou du moins de disposer les interlocuteurs invisibles à  » prêter davantage l’oreille « . » 

– Source: L’ÉDIFICE

Je tiens à préciser que le sorcier ou le guérisseur africain n’exigera le sacrifice d’un animal vivant, que si le problème auquel il doit se frotter le nécessite. Le sang d’un animal n’est donc pas systématique exigé comme pourrait le laisser entendre la source ci-dessus citée.

On retrouve aussi l’usage du sang à des fins ésotérique dans l’un des récits les plus populaires de la littérature occidentale, avec la légende de Faust: l’alchimiste qui vendit son âme au diable.

3- La légende de Faust

« C’est la vie d’un humaniste allemand du 16e siècle, mort dans l’explosion d’une expérience occulte, qui a inspiré l’un des personnages les plus célèbres de la littérature européenne.

Si son histoire a adopté diverses variantes, Faust apparaît le plus souvent comme un érudit humaniste versé dans toutes les sciences, mais frustré car les livres n’arrivent pas à rassasier sa soif de connaissances. Pour accéder par ses propres moyens à tous les savoirs et plaisirs du monde, il a recours à la magie et aux forces surnaturelles. Ainsi, une nuit, il trace un cercle magique et invoque Méphistophélès, un ange déchu au service de Lucifer.

Méphistophélès propose un pacte à Faust : il pourra profiter pleinement de la vie pendant un certain nombre d’années – les versions les plus courantes parlent de 24 ans – au terme desquelles il devra donner son âme à Lucifer et passer l’éternité en enfer. 

Faust accepte et signe le pacte de son propre sang, convaincu que Méphistophélès sera incapable de satisfaire tous ses désirs. »

Source: National Geographic

LE LIANT

Ce qui lie ces trois exemples est l’usage de l’attribut métaphysique du sang (la force vitale qu’il porte et peut transférer), cet attribut qui lui confère le pouvoir de commander l’attention des mondes invisibles et de donner vie à ce à quoi il est mêlé.

Si nous nous nous mettons d’accord que le mélange du sang et l’encre donne vie à l’image que porte le tatoué, si nous comprenons que la force vitale du sang ou ce mystérieux élément qu’il contiendrait, lie le visible à l’invisible, et disposerait les interlocuteurs invisibles à « prêter davantage l’oreille », serait-ce extrapoler de penser que, de la même façon que le tatouage est encré sur le corps physique, la charge émotionnelle qu’il porte est quant à elle ancrée aux corps émotionnels du tatoué ? Bref, serait-ce conjecturer de penser que la charge émotionnelle d’un tatouage est transférée sur celui qui se le fait tatouer ?

À lumière des textes que je mentionne plus haut, au su des récits que je n’ai pas mentionné ici, mais aussi en m’appuyant sur des expériences auxquelles j’ai moi-même assisté auprès de mystiques et guérisseurs traditionnels en Afrique (où j’ai passé plus d’une vingtaine d’années), je pense que tout ce qui est mélangé au sang prend vie. Puisqu’une image tatouée est le résultat de ce mélange de sang et d’encre, il est tout à fait légitime de croire que le tatouage et les émotions qui s’y rattachent prennent eux aussi vie, et que la charge émotionnelle du motif serait transférée au tatoué. Et ce, même si avec le temps ou au fil des tattoos ce dernier finit par oublier de temps à autre qu’il en porte.

Était-ce pour ces raisons que les Polynésiens de l’époque se faisaient tatouer ? Était-ce pour déclencher – enclencher consciemment des processus émotionnels, physiques et métaphysiques sur divers plans de leur conscience pendant leurs phases d’initiation ? Peu importe.

Vrai, pas vrai ou un tout petit peu vrai, cela n’a réellement pas d’importance. Ce qui est important me semble-t-il, est que dans cette ère du « tout Ubérise » dans laquelle nous vivons aujourd’hui, que le futur tatoué sache que tous les scénarios auxquels font mention les textes et exemples ci-dessus sont plausibles, et qu’il gagne à faire son choix en connaissance de cause :

Que ce soit le choix de se faire faire un tatouage qui porte une charge émotionnelle positive, s’il veut porter une influence positive,

Ou le choix de l’inverse si c’est ce qu’il souhaite.

Au final, se faire tatouer juste parce qu’on peut, c’est tomber dans les pièges d’un consumérisme omniprésent, y compris dans ce qu’on appelle aujourd’hui et de façon très désinvolte « l’industrie du tattoo ».

CONCLUSION

Si le type et la couleur des vêtements et accessoires que nous portons momentanément peuvent modifier notre état d’esprit, penser qu’un tatouage indélébile n’ait d’attributs et d’impacts autres qu’esthétiques est une illusion.

Au final, se faire tatouer juste parce qu’on peut, c’est tomber dans les pièges d’un consumérisme omniprésent, y compris dans ce qu’on appelle aujourd’hui et de façon très désinvolte « l’industrie du  tattoo ».

On ne porte pas qu’un tatouage, on porte aussi tout ce qu’il symbolise et porte en lui. Prendre le temps de bien mûrir le choix de ce que nous allons nous faire tatouer est donc, me semble-t-il, primordial. Car vous l’aurez compris, il n’y a pas que l’encre qui reste.